Qui peut être tenu responsable en cas de non-paiement des dettes TVA ?

par Laurent Richard en Juridique TVA publié le 11 septembre 2024
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La Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) constitue un élément essentiel des systèmes fiscaux modernes, assurant une part significative des recettes publiques dans de nombreux pays. Dès lors, la gestion de cette taxe comporte des obligations strictes pour les entreprises. L’administration fiscale veille scrupuleusement au respect des réglementations, et toute infraction ou omission peut entraîner des sanctions sévères.

La responsabilité des dettes TVA ne se limite pas uniquement au paiement des montants dus par l’assujetti. Les cessionnaires de fonds de commerce et les dirigeants d’entreprises (en cas de non paiement répété des dettes TVA) peuvent être tenus solidairement responsables du paiement des dettes TVA.  En outre, les experts-comptables doivent être pleinement conscients des risques et des obligations associés à la gestion de la TVA, en particulier de leur responsabilité pénale éventuelle.

Cet article se propose d’examiner les différents aspects de la responsabilité des dettes TVA, en mettant en lumière les obligations légales et les conséquences des manquements.

La matière était historiquement traitée au chapitre XVI du Code de la TVA (Art. 93ter à 93undeciesE intitulé « Responsabilité et obligations de certains officiers et fonctionnaires publics et autres personnes ») et a été abrogée pour être intégrée dans le Code du recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales (CRAF) entré en vigueur le 1er janvier 2020. (voir Arrêté royal du 20 décembre 2019 portant exécution du Code du recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales [M.B., 24 décembre 2019])

Nous attirons votre attention sur le fait que nous aborderons bien le non-paiement des dettes TVA qui doit être distingué du paiement de la TVA périodique.

Le redevable TVA

Le redevable, en matière fiscale, se définit comme étant la personne au nom de laquelle les créances fiscales et non fiscales sont reprises au rôle ou au registre de perception et recouvrement, ou à charge de laquelle une décision judiciaire portant condamnation au paiement des créances fiscales et non fiscales est prononcée.[1] Il y a donc lieu de différencier le redevable pour l’application de la TVA du responsable en cas de non-paiement qui peut donc être un tiers ou un dirigeant d’entreprise[2].

Sans surprise, le premier redevable est l’assujetti lui-même qu’il soit une personne morale ou physique.

Personnes solidairement responsables

La théorie de l’obligation solidaire, ou in solidum, repose sur l’idée que chaque faute ayant contribué à un dommage commun est considérée comme ayant seule causé ce dommage. En d’autres termes, chaque auteur de faute peut être tenu responsable de la totalité du dommage, indépendamment de l’ampleur de sa contribution.

Cette notion a été développée par la jurisprudence pour répondre aux situations où plusieurs fautes, commises par des parties différentes, concourent à causer un seul et même dommage. La Cour d’Appel de Bruxelles[3] a clarifié les contours de cette théorie dans un arrêt significatif, précisant les conditions et les implications de l’obligation in solidum. Ainsi, chaque responsable peut être poursuivi pour la totalité de la réparation, et il revient ensuite à celui qui a indemnisé la victime de se retourner contre les autres fautifs pour obtenir leur part contributive.

Cette approche vise à protéger les victimes en leur assurant une indemnisation complète, sans avoir à démêler la part exacte de responsabilité de chaque auteur de faute. Elle met également en lumière l’importance de la solidarité entre les responsables, qui doivent ensuite s’organiser entre eux pour le partage des coûts de réparation.

Pour prendre un exemple de la jurisprudence de la Cour d’appel de Bruxelles par rapport à un architecte : « Lorsque les fautes concurrentes de l’architecte et de l’entrepreneur sont établies, la faute de chacun d’eux est la cause de l’entier dommage et chacun d’eux est tenu, à l’égard de la victime, à le réparer intégralement. L’architecte est alors tenu de réparer la totalité du dommage qui résulte de sa faute, même si la faute de l’entrepreneur a également contribué à le causer ».[4]

Il est important de distinguer deux notions :

  • L’obligation à la dette : chaque intervenant doit supporter la dette envers la partie lésée, qui peut demander l’indemnisation totale à chacun d’eux.
  • La contribution à la dette : elle détermine la part de responsabilité de chaque intervenant en fonction de la gravité de leur faute respective.

Dans un cas fiscal, il n’y a pas de contribution à la dette, mais bien une obligation à la dette. Le redevable solidaire ayant indemnisé entièrement le SPF Finances peut se retourner contre l’assujetti avec des succès divers compte tenu de la situation financière de l’assujetti.

Le cessionnaire d’un fonds de commerce

Peut être tenu responsable solidairement  le cessionnaire dans le cas d’un achat de fonds de commerce ou d’une branche d’activité, mais aussi l’usufruitier sur ceux-ci[5]. Cette responsabilité n’est pas envisagée si le cédant joint à l’acte de cession un certificat établi exclusivement à cette fin par le receveur du cédant dans les trente jours qui précèdent la notification de la convention.

La délivrance de ce certificat est subordonnée à l’introduction par le cédant d’une demande auprès du receveur dont il relève.

Le certificat sera refusé par le receveur si, à la date de la demande, le cédant reste redevable de sommes à titre de créances fiscales et non fiscales ou si la demande est introduite après l’annonce ou au cours d’un contrôle fiscal, ou après l’envoi d’une demande de renseignements relative à sa situation fiscale.

Le dirigeant d’entreprise

En cas de manquement, par une société ou une association sans but lucratif[6], une association internationale sans but lucratif[7] ou une association à son obligation de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée en sa qualité d’assujetti, le ou les dirigeants de la société ou de la personne morale chargés de la gestion journalière de la société ou de la personne morale sont solidairement responsables du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée si le manquement est imputable à une faute extracontractuelle au sens de l’article 1382 de l’ancien Code civil[8], qu’ils ont commis dans la gestion de la société[9] ou de la personne morale[10]. Il a été jugé qu’une incapacité prolongée de travailler n’exonère pas le gérant de sa responsabilité. Dans un tel cas, il y a lieu de démissionner selon la Cour[11].

La responsabilité solidaire peut également s’étendre aux autres dirigeants d’une société ou d’une personne morale lorsqu’il est établi qu’une faute leur est imputable. Les dirigeants incluent toutes les personnes ayant eu, en fait ou en droit, le pouvoir de gestion, sauf les mandataires de justice. Le non-paiement répété de la par la société est présumée, sauf preuve contraire, être dû à une faute.

Le non-paiement répété se définit par le défaut de paiement d’au moins trois dettes en un an pour les déclarations mensuelles ou deux pour les déclarations trimestrielles. Cependant, cette présomption de faute n’existe pas si le non-paiement résulte de difficultés financières ayant conduit à une procédure de réorganisation judiciaire, de faillite ou de dissolution judiciaire. Dans ce cas de figure, c’est bien au dirigeant de le prouver,[12] car la présomption légale s’appliquera même si la société a été mise en faillite[13][14].

La responsabilité solidaire des dirigeants ne peut être engagée que pour le paiement en principal, les intérêts de retard et les accessoires des dettes de TVA.

Une question pertinente serait de savoir si la limitation de responsabilité prévue par le CSA s’applique. Le législateur du CSA avait prévu ce cas de figure et donc, il y a lieu de répondre négativement. La responsabilité n’est donc pas limitée.

Responsabilité pénale pour les infractions aux obligations fiscales

L’article 73sexies du Code de la TVA établit une règle importante en matière de responsabilité pénale pour les personnes qui ont commis des infractions graves concernant les obligations fiscales, notamment :

  • La fraude;
  • Le faux en écritures publiques, de commerce ou privées, ou en informatique;
  • L’usage de faux.

Dans ces cas, les personnes condamnées, comme auteur ou complice, seront solidairement responsables du paiement de la taxe éludée et des intérêts de retard dus par le redevable initial. Cela signifie que les personnes concernées seront tenues personnellement responsables du paiement de ces sommes, même si elles bénéficient de certaines mesures d’atténuation de la peine.

Le Code pénal prévoit[15] que seront punis, entre autres, comme auteurs d’un crime ou d’un délit :

  • Ceux qui l’auront exécuté ou qui auront coopéré directement à son exécution ;
  • Ceux qui, par un fait quelconque, auront prêté pour l’exécution une aide telle que, sans leur assistance, le crime ou le délit n’eût pu être commis ;

Le Code pénal prévoit[16] que seront punis, entre autres, comme complices d’un crime ou d’un délit :

  • Ceux qui auront donné des instructions pour le commettre ;
  • Ceux qui auront procuré des armes, des instruments, ou tout autre moyen qui a servi au crime ou au délit, sachant qu’ils devaient y servir ;
  • Ceux qui auront, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs du crime ou du délit dans les faits qui l’ont préparé ou facilité, ou dans ceux qui l’ont consommé.

En résumé, l’article 73sexies du Code de la TVA établit une règle stricte pour les personnes qui ont commis des infractions graves aux obligations fiscales, leur imposant une responsabilité pénale et civile personnelle.

Responsabilité pénale au niveau de la comptabilité

Lorsque les professionnels économiques prennent en charge une partie des obligations d’une entreprise ou d’un particulier, ils sont soumis à une double contrainte : ils doivent répondre aux attentes des clients tout en respectant les lois et réglementations fiscales.

Par exemple, si un client explique qu’il a payé un nombre important de factures avec son compte privé, mais sans en apporter la preuve ou sans qu’elle la lui soit demandée, les professionnels économiques risquent  d’encourir des poursuites pénales pour faux et usage de faux s’ils ne font pas les vérifications correctement. Les obligations légales doivent être respectées. Il est dès lors essentiel que les professionnels économiques s’informent activement des lois et réglementations fiscales applicables, ainsi que des conséquences pénales en cas d’infraction.

Le fait de ne pas inclure certaines recettes perçues en argent noir dans les comptes d’une entreprise peut être considéré comme une altération de la vérité. La comptabilité est censée représenter une image fidèle de l’état financier d’une entreprise, mais si des recettes sont omises, cela peut créer une image trompeuse de la situation financière de l’entreprise. Cela peut être considéré comme un faux en écritures[17], car il s’agit de falsifier la vérité en présentant une image inexacte de la situation financière de l’entreprise.

De même, si un état financier présente de manière trompeuse ou inexacte une société commerciale, dans le but d’acheter ses parts, cela peut être considéré comme une altération d’un écrit commercial. L’état financier peut être utilisé pour présenter une image flatteuse de la société pour inciter les investisseurs à acheter des parts, ce qui est illégal. Cette pratique est considérée comme un faux intellectuel, car il s’agit de falsifier intentionnellement la vérité pour tromper les parties prenantes.[18]

Voici quelques autres exemples de faux en écriture tirés de la jurisprudence :

  • la certification des comptes annuels d’une société par un commissaire-réviseur, alors qu’il a connaissance de l’existence d’une comptabilité parallèle au sein de celle-ci[19] ;
  • l’établissement d’un bilan ou de comptes annuels d’une société commerciale dans lequel le poste « caisse » ne correspond pas à la réalité, en ce que le solde de caisse ne correspond pas au solde disponible au 31 décembre de l’année du bilan, quand bien même le solde indiqué résulterait de documents non argués de faux[20] ;

Conclusions

Les entreprises et les particuliers qui ne payent pas leurs dettes de TVA risquent de subir des conséquences graves, notamment des poursuites judiciaires, des pénalités et des frais de recouvrement.

Les clients qui reçoivent des avis de paiement exigeant le paiement dans les 48 heures sont souvent sous pression pour satisfaire à ces exigences. Cependant, il est important de noter que les professionnels économiques doivent prendre soin de vérifier les formalités de paiement avant de procéder à tout paiement. Il est également important de consulter les autorités fiscales pour obtenir des conseils sur la manière de payer correctement la dette.

Les autorités fiscales ont à leur disposition un arsenal juridique et administratif pour faire face aux défauts de paiement et récupérer les dettes impayées.

Il est donc essentiel que les professionnels économiques aient une bonne compréhension des lois et réglementations fiscales applicables et puissent fournir des conseils à leurs clients sur la manière de gérer leurs dettes fiscales.


[1] Art. 2 §1er 5° a) du Code du recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales

[2] Cette matière est traitée par le chapitre 3 — Des droits et privilèges du Trésor, Section 3 — De la responsabilité et des obligations de certains officiers ministériels, fonctionnaires publics et autres personnes, Sous-section 3 — Des autres responsabilités et des obligations du CRAF.

[3] Cour d’appel Bruxelles (2e chambre), 12/10/2001, J.L.M.B., 2002/17, p. 718-725

[4] Bruxelles (2e chambre), 12 octobre 2001, J.L.M.B., 2002/17, p. 718-725.

[5] Civ. Bruges 14 octobre 2013

[6] Lorsque ces associations dépassent plus d’un des critères visés à l’article 3: 47, § 2, alinéa 1er, du Code des sociétés et des associations

[7] Cass. (1re ch.) RG F.12.0206.N, 19 septembre 2014 (Belgische Staat / J.-M. D’H., C.B.)

[8] Article 6.5 du Code Civil – entrant en vigueur le 1er janvier 2025

[9] Trib. entr. (7e ch.) Bruxelles n° A/17/02617, 26 octobre 2023

[10] Article 51 du CRAF

[11] Liège (7e ch. B.) n° 2018/RG/184, 19 mars 2019

[12] Bruxelles (Fr.) (6e chambre) n° 2017/AR/531, 2 février 2023 et Cass. (1re ch.) RG F.15.0118.F, 11 mars 2016 (P.F. / Etat belge)

[13] Cour. fisc. 2011 (reflet VERTOMMEN, S.), liv. 13, 418 et http://www.monkey.be/ (27 septembre 2011), note VERTOMMEN, S.

[14] Trib. entr. Hainaut (div. Mons) (1re ch. A) n° A/17/00601, 27 novembre 2018

[15] Article 66 du Code Pénal

[16] Article 67 du Code Pénal

[17] Le faux en écritures est constitué par un ensemble de circonstances précises. Pour que le faux soit considéré comme établi, les éléments suivants doivent être réunis :

  • Il faut qu’il y ait un auteur, c’est-à-dire un fonctionnaire ou un officier public agissant dans l’exercice de ses fonctions, ou une autre personne.
  • Il doit y avoir une altération de la vérité ou un mensonge, qui peut prendre la forme d’un acte faux ou d’une modification d’un acte déjà existant.
  • L’acte doit être réalisé sur un écrit protégé par la loi, tel qu’un document officiel ou un document financier.
  • L’acte doit être effectué selon un mode prévu par la loi, comme en utilisant des signatures ou des formalités spécifiques.
  • L’acte doit causer ou potentiellement causer un préjudice.
  • Enfin, l’acte doit être réalisé intentionnellement avec l’objectif de frauder ou de nuire.

Il est important de noter que l’altération de la vérité peut prendre deux formes : l’altération d’un écrit vrai ou la fabrication d’un acte faux. Dans tous les cas, le faux en écritures vise à tromper et à fausser la vérité.

[18] Bruxelles, 24 janvier 2012, Dr. pén. entr., 2012, p. 191, note F. LUGENTZ.

[19] Liège, 25 janvier 1996, Rev. prat. soc., 1997, p. 117, obs. A. BENOîT-MOURY et N. THIRION.

[20] Cass., 23 février 1982, Rev. dr. pén., 1985, p. 988. E. ROGER-France (dir.), La fraude dans les comptes, et C. ANTONELLI et A. KILESSE, Faux bilans versus comptes exacts, in Droit pénal des affaires, Larcier, 2016, p. 9-49 et p. 155-188.

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